Un "rebond" de Pascal Riche dans le Libé du jour, qui parle entre autres du papy krach.
http://www.liberation.fr/opinions/rebonds/215169.FR.php
Livre. Trois ouvrages dénoncent l'état dans lequel les baby-boomeurs laissent la France à leurs enfants.
Génération sacrifiante
Par Pascal RICHE
QUOTIDIEN : lundi 6 novembre 2006
Comment nous avons ruiné nos enfants, Patrick Artus, Marie-Paule Virard, la Découverte ; le Papy Krach, Bernard Spitz, Grasset ; Nos enfants nous haïront, Denis Jeambar et Jacqueline Rémy, Seuil.
Souvent posés côte à côte dans les librairies, ces trois titres peuvent faire sourire. L'un raconte «comment nous avons ruiné nos enfants» , le deuxième en déduit qu'ils «nous haïront» et le troisième donne l'explication du cauchemar annoncé : l'arrivée d'un «papy krach» que nous ne préparons pas. Les trois ouvrages, dans des styles très différents, font le même diagnostic : comment «nous» (les vieux) sommes en train de refiler à la génération suivante nos ardoises d'impayés et une somme de problèmes inextricables, santé, vieillesse, dette (deux tiers du PIB), chômage de masse...
Le thème de la «génération sacrifiée» n'est certes pas nouveau, mais la crise du CPE et celle des banlieues, qui ont chacune illustré les angoisses des nouvelles générations, ont servi de piqûre de rappel. Les jeunes d'aujourd'hui sont ceux qui auront connu le plus de chômage, ils sont aussi ceux sur lesquels on aura le moins investi en matière de formation, et c'est à eux que l'on demande de payer pour financer les retraites et la santé de l'énorme masse des baby-boomeurs, qui, eux, ont profité de la vie comme aucune génération ne l'a fait.
Pour faire sentir concrètement au lecteur ce que représentera le choc démographique à venir, les auteurs rivalisent de formules chocs. L'économiste Patrick Artus et la journaliste Marie-Paule Virard constatent qu'en 2030 la moyenne d'âge du pays sera celle de la ville de Cannes (pour ceux qui connaissent Cannes, il y a de quoi frémir) : un Français sur trois aura plus de 60 ans. «Pour la première fois de notre histoire, nous allons transmettre à nos enfants plus de charges que de ressources», soutiennent Denis Jeambar (qui dirige depuis peu le Seuil) et la rédactrice en chef à l'Express Jacqueline Rémy. «Le programme qui s'annonce pour la jeunesse de France, c'est tout simplement le plus grand hold-up de l'histoire, celui de la spoliation de plusieurs générations sacrifiées qui semblent ne toujours pas réaliser ce qui les attend», renchérit Spitz.
Les auteurs des trois livres ont des conclusions assez voisines : la France a besoin de réformes. La progression de la dette doit être stoppée ; l'âge de la retraite doit être repoussé ; la retraite par capitalisation doit être instaurée pour compléter le dispositif de répartition. Autant de réformes qui, soit dit en passant, pèseront une fois de plus sur la génération «sacrifiée» : c'est elle qui travaillera plus longtemps, c'est elle qui aura à payer deux fois, pour ses aînés (répartition) et pour elle-même (capitalisation). Ne faudrait-il pas aussi, en bonne logique, faire payer les retraités actuels, ceux qui ont profité de la croissance, de démographie alors favorable, de l'inflation des années 70 (qui leur a permis d'acheter leur logement à des taux d'intérêt réels négatifs), puis de la désinflation des années 80-90 (qui a permis de grossir leur épargne) ? Jamais les plus de 60 ans n'ont eu un train de vie aussi confortable. Il est supérieur à celui des salariés, est-ce bien normal ? Sans parler de leur patrimoine : avec l'allongement de la vie, ce sont de plus en plus souvent des retraités qui héritent de leurs parents. Bizarrement, aucun des trois livres ne suggère franchement des sacrifices aux «baby-boomeurs» dont ils dénoncent l'enrichissement. Spitz se borne à souhaiter une «juste répartition de la charge entre toutes les générations».
Les trois livres sont très différents. Le Jeambar-Rémy, enlevé, joue sur la corde repentante, celle des baby-boomeurs sexagénaires revenus de Mai 68 (on a bien trop joui !); celui d'Artus-Virard, intelligent mais épars, fait des détours pédagogiques par le boom économique chinois, la construction européenne et les prix du pétrole ; celui de Bernard Spitz, conseiller d'Etat rocardien, est le plus politique. L'une de ses interrogations passionnante porte sur l'apathie des jeunes, qui ont été incapables, malgré leur pouvoir, d'empêcher ce «hold-up» dont ils sont victimes. A lire les sondages, ils semblent lucides sur leur propre situation, et ils ne se désintéressent pas de grandes causes comme l'écologie. Pourquoi ne défendent-ils pas leurs propres intérêts, se demande l'auteur ? Pourquoi s'abstiennent-ils aux élections ? Pourquoi ne lisent-ils pas de journaux ? Spitz esquisse quelques réponses : impossibilité de se projeter dans l'avenir, confiscation du pouvoir par les plus âgés, emprise des médias, qui transforment le débat public en divertissement... Selon lui, l'égoïsme des plus âgés et l'inaction des plus jeunes se conjuguent pour préparer une rupture du contrat social, un «krach». Sauf si, espère-t-il, les candidats à la présidentielle se saisissent enfin à bras-le-corps du sujet.
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