Une interview parue ce matin dans 20 minutes (en version intégrale)
Conseiller d’Etat, essayiste, Bernard Spitz vient de publier «Le papy-krach» (Grasset). Sa thèse: la France vieillit, se sclérose et laisse aux jeunes générations une facture colossale.
Le facteur démographique va jouer un rôle déterminant dans cette dérive: augmentation brutale du nombre de retraités, allongement de la durée de vie. Dans le même temps, de plus en plus de jeunes sortent du système éducatif sans formation, contribuant à l’envolée du chômage et de la pauvreté.
Tout cela se profile dans le contexte d’un puissant immobilisme politique: la France persiste à ne pas se lancer dans les indispensables réformes qui laisseraient espérer à sa jeunesse un avenir meilleur.
Pourquoi les réformes que vous préconisez et qui paraissent évidentes sont-elles si difficiles à imposer en France ? Est-ce un problème de prise de conscience ou de courage politique ? La prise de conscience est récente car la culture économique en France est elle-même récente. Ce que j’appellerai « l’économie du Père Noël » où l’on promet tout à tout le monde, est en train de perdre du terrain. Elle est devenue tout au plus un argument tactique utilisé par la gauche radicale. Malgré tout, cette perception de la nécessité vitale de réformes profondes reste encore un peu abstraite. Elle n’est ni argumentée, ni incarnée par une personnalité ou un programme politique.
Le catalogue de réformes que vous préconisez est vaste : retraites, fonctionnement de l’Etat, structures administratives du pays....Chacun de ces problèmes ne peut être traité isolément sous peine d’échec. La voie de la réussite passe par un projet politique de grande ampleur construit sur la mise en place d’un système équitable pour les jeunes générations. Les jeunes doivent avoir la certitude qu’ils ont un avenir...
Sans cela ?...Sinon ce sera le conflit inter-génération que l’on sent déjà poindre. Aujourd’hui, pour les jeunes c’est la double peine : ils subissent un enseignement toujours plus clochardisé lequel alimente un chômage de masse avec des filières sans issue. La pauvreté est devenue un problème de jeunes : aujourd’hui, le taux de pauvreté des moins de 25 ans atteint 20%, c’est cinq fois plus qu’il y a trente ans !
L’évolution démographique ne va-t-elle pas corriger cela avec les départs en retraite massifs au cours des prochaines décennies ? Cette vision est naïve. Comment imaginer que des jeunes gens qui ne trouvent déjà pas de d’emploi au moment de leur entrée dans la vie active prennent celui des seniors qui s’en vont ? Par ailleurs, l’augmentation du nombre de retraités va peser essentiellement sur les jeunes générations d’actifs, tandis que les mieux lotis, soumis à une pression fiscale toujours plus intense, seront tentés de partir à l’étranger. On perd donc sur tous les tableaux. Il faut se rendre à l’évidence: il ne fait aucun doute qu’aujourd’hui on vit plus longtemps et que l’on peut travailler beaucoup plus longtemps. Tout le monde y gagnerait : cela contribuerait à la richesse collective ; cela génèrerait des ressources supplémentaires pour l’Etat. Dire que cela pèserait sur la jeunesse en prenant des emplois qui lui sont destinés est absurde. Au contraire, cela limiterait la charge financière qui va peser sur les jeunes générations.
Comment voyez-vous la mise en oeuvre de tout cela? La question du leadership politique est évidemment essentielle. Le « comment » suppose la confiance en une personne. A l’étranger, les grandes réformes ont été conduites par des Bill Clinton aux Etats-Unis, Tony Blair au Royaume-Uni, José Maria Aznar puis José Luis Zapatero en Espagne. En Allemagne Gerhard Schröder a incarné l’agenda 2010 et les électeurs ont donné à la majorité suivante le mandat pour poursuivre ces mêmes réformes. C’est d’ailleurs l’existence de ce moteur européen qui va nous pousser à évoluer. Maintenant on ne peut plus invoquer le retard de l’Allemagne pour ne rien faire. Evidemment, il faut des gens neufs pour les mettre en oeuvre. Malheureusement, depuis trente ans, nous avons les mêmes en face de nous. Avec la même mentalité, la même certitude selon laquelle on peut soit faire, soit durer. Et tous choisissent de durer.
Les remèdes que vous préconisez sont largement puisés dans le répértoire libéral...D’une certaine façon, nous sommes tous libéraux sur un plan économique... Je prends souvent en référence la Suède qui depuis 20 ans est dirigée par les sociaux démocrates ce qui ne l’a pas empêchée de mener toutes ces réformes. En France, le consensus est beaucoup plus large qu’on ne croit : tout le monde veut un état fort, une protection sociale importante, une société très largement solidaire. Il faut simplement faire en sorte que l’argent public soit mieux utilisé. Tout le débat porte sur notre capacité à réformer l’état pour améliorer l’utilisation de l’argent public et structurer les systèmes sociaux. Tout cela est largement faisable, sans violence sociale particulière. Car la France reste un pays riche qui, en plus, bénéficie d’une bonne évolution démographique comparée à d’autres nations.
Vous êtes plutôt sévère sur la jeunesse actuelle lorsque vous évoquez sa propension à défendre des causes contraires à son intérêt. Ils sont les enfants de la crise après tout….Il est vrai qu’ils ont des circonstances atténuantes. A commencer par l’irresponsabilité du système éducatif qui multiplie les filières sans débouchés. Trois catégories de jeunes ont des raisons d’en vouloir à la société : les premiers sont les déclassés issus d’une formation ne leur donnant aucun avenir ; il suffit de regarder les dépenses par étudiant pour comprendre : l’université française investit 4000 euros par étudiant et par an, alors que Polytechnique va dépenser 12 000 à 20 000 euros tandis que le Massachussetts Institute of Technology de Boston va investir 120 000 euros par étudiant et par an ! L’autre catégorie est composée de ceux qui sont sortis du système et qui vont alimenter la grande pauvreté ; la troisième catégorie est la population des cités qui sont des zones aujourd’hui hors du système.
Qu’est-ce qui vous fait dire que la France peut aborder un virage décisif ? Aujourd’hui, les Français ont conscience qu’après 1981, nous avons eu trois élections présidentielles pour rien. En 1988, ce fut le « ni-ni » [ni socialisme, ni libéralisme] et donc l’immobilisme ; en 1995, on nous a servi le thème de la « la fracture sociale » qui n’a débouché sur rien ; en 2002, ce fut l’incapacité de transformer un vote certes négatif, mais qui a donné une très forte majorité, en une dynamique positive, avec par exemple un gouvernement d’union nationale.
Ce qui donne pour 2007….Pour la prochaine élection, nous avons tout ce passif, nous avons aussi la certitude d’avoir utilisé toutes nos marges de manœuvres et l’agenda tracé pour les prochaines années est donc essentiel. Certes, les réformes à mettre en oeuvre sont complexes, les leviers à actionner simultanément sont multiples. Ce n’est pas simple. Mais nous n’avons plus d’excuses. Tous les autres pays y sont parvenus.
Propos recueillis par Frédéric Filloux
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