Le sujet me tient à coeur depuis longtemps, comme en témoigne cette tribune parue dans les Echos en février 2004:
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IDEES • LE POINT DE VUE DE BERNARD SPITZ
Les jeunes paieront !
Les Echos n° 19102 du 25 fevrier 2004 • page 13 La bataille politique sur le financement de l'université en Grande-Bretagne nous concerne directement. Elle illustre en effet de façon très concrète la question de la rénovation de la social-démocratie, particulièrement en France. Au départ, la crise financière de l'enseignement supérieur se pose en termes proches dans les deux pays. Même si, de l'autre côté de la Manche, on consacre en part de PIB et par tête d'étudiant des moyens légèrement supérieurs aux nôtres, les deux systèmes manquent tout aussi cruellement de ressources, très loin des Etats-Unis. Notre rang international s'en ressent déjà : dans les derniers classements parus, la meilleure université française citée ne figure qu'au-delà du 50e rang.
Une telle situation est intolérable : parce qu'elle incitera les meilleurs de nos chercheurs et étudiants à partir étudier ailleurs ; et parce qu'elle nous privera de la venue des meilleurs étrangers, de l'enrichissement intellectuel qu'ils nous apportent comme de la capacité d'influence que notre pays en retire. A terme, nous serons donc perdants sur tous les tableaux : économiquement par perte de compétitivité, socialement parce que beaucoup de jeunes seront privés d'un bon enseignement supérieur, et culturellement par un affaiblissement de notre rayonnement international.
Pour conjurer ces funestes perspectives, que faisons-nous ? A Londres comme à Paris, on convient qu'il faut investir plus. Mais le « comment » politique diverge. Chez nous, nous faisons des effets d'annonce et nous laissons au ministère de l'Economie et des Finances le soin de gérer ces promesses non financées. Ce qui est doublement fautif : d'une part, parce que les caisses sont vides ; de l'autre, parce qu'il est injuste de faire payer aux entreprises ou aux classes moyennes via l'impôt l'intégralité des études supérieures de ceux qui ont les moyens de se les payer ou qui seront seuls à en bénéficier.
A Londres, le gouvernement a refusé cette « facilité » et pris des risques politiques, au nom d'une vision moderne de la justice sociale. Tony Blair a estimé qu'il n'y avait aucune raison de faire payer à l'ouvrier métallurgiste les études du jeune bourgeois qui finira banquier à la City. Il a proposé en conséquence un système de type prêt étudiant, où l'adolescent remboursera plus tard, quand il aura un bon salaire, les frais de sa scolarité. En contrepartie, un système de bourses étendu permet de faire accéder à l'université les enfants de familles modestes voulant réussir. Ainsi, personne n'est empêché de poursuivre ses études, mais sans creuser des déficits futurs, tout en donnant aux universités les moyens de se développer et en responsabilisant les étudiants.
Les démagogues des deux camps ont voulu dénaturer cette réforme, la présentant comme réservant les études aux riches, pour défendre un statu quo sans espoir. Blair a défié les professionnels de l'immobilisme et il a gagné ; de justesse, mais il a gagné. Qui en France prendrait un risque politique semblable ? Dans la majorité actuelle, la pratique de l'empilage des promesses non financées en contredit l'idée même. Le congrès de Dijon a montré que les leaders les plus réalistes du Parti socialiste n'y étaient pas prêts non plus, sauf à se faire marginaliser dans leur camp.
Le passé explique cette frilosité politique. A gauche, Michel Rocard avait décidé, il y a quinze ans, qu'après une génération de transfert massif de revenus en faveur des retraités on ne pouvait aggraver le fardeau des jeunes en les laissant seuls payer la CSG. Les seniors se sont vengés aux élections suivantes. A droite, l'échec d'Alain Juppé sur la réforme des régimes spéciaux de retraite et celui d'Alain Devaquet quelques années avant sur les universités reviennent aussi en mémoire.
Notre classe politique a retenu la leçon. Le cas de l'Université n'est pas isolé : la réforme de notre système fiscal ou la modernisation des services publics sont autant de sujets sur lesquels le discours politique peine à se rénover, à la différence de ce qui se passe dans la plupart des pays voisins.
En réalité, nous continuons à reporter dans le futur le fardeau de nos renoncements successifs en laissant à nos enfants et petits-enfants le soin de solder les comptes. Le plus étonnant, c'est qu'ils ne l'aient pas encore compris eux-mêmes : en finançant les universités par de la nouvelle dépense budgétaire, on ne fait qu'aggraver des déficits qu'ils devront de toute façon _ eux et eux seuls _ solder à l'avenir. Comme on le disait de l'Allemagne après le traité de Versailles _ et avec quel résultat : les jeunes paieront !
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